La règle des tiers : un sujet "bateau"
La règle des tiers est le premier élément de composition que l’on apprend généralement, non sans raison.
Ce blog faillirait à son devoir s’il ne l’abordait pas, en lui apportant, bien sûr, sa petite touche personnelle !
Il y a ceux qui ne jurent que par cette règle : je ne suis pas de ceux-là.
Il y a ceux qui la rejette en bloc : je ne suis pas de ceux-là non plus.
Alors lisez cet article, et vous saurez à la fin ce que j’en pense…
Que dit cette règle ?
Cette règle invite à placer les éléments clés sur des lignes ou des points spécifiques de l’image.
Quels sont ces lignes et ces points ?
Les lignes partagent l’image en trois bandes régulières dans le sens horizontal et dans le sens vertical. Ces lignes sont appelées « lignes de force ».
La rencontre de ces lignes constitue ce qu’on appelle les « points forts » de l’image.
Pourquoi la règle des tiers ?
Il y a deux raisons principales :
- Un sujet centré fixe l’œil au centre, rendant la photo statique.
- Décentrer le sujet dynamise la photo en cassant la monotonie
Quand un sujet est centré, l’espace autour est uniformément réparti
Décentrer le sujet permet de choisir le meilleur décor, le meilleur environnement, celui qui mettra le sujet le plus en valeur.
Dans la photo suivante, la texture du bois et la composition (dont la ligne diagonale avec la fleur et le feuillage) renforcent l’intérêt de la fleur.
Placer les éléments importants du sujet sur ces lignes et ces points est donc censé créer une image équilibrée, harmonieuse.
Historiquement, cette règle est une approximation du « nombre d’or », proportion « divine », « naturelle » et la plus équilibrée d’après les architectes de l’Antiquité qui l’utilisait pour la construction de leurs monuments (cf. infra).
Comment s'en sert-on ?
Au moment de la prise de vue, imaginez cette division de l’écran et placez les éléments importants sur ces lignes ou sur ces points.
Certains appareils permettent d’afficher cette grille dans le viseur ou sur l’écran : la composition s’en trouve facilitée (cf. la notice de votre boîtier).
Exemple : dans l’image suivante, les choux se situent sur la ligne du 1/3 supérieur et l’arrête du cageot sur la première ligne à gauche. Le regard, aidé également par la diagonale, se dirige inévitablement vers le sujet (les choux), qu’il parcourt ensuite sur la ligne sur laquelle il est placé.
Il faut faire attention à ceci : plus le sujet est petit, plus son positionnement devient crucial.
L’application de la règle des tiers peut alors être d’un grand secours.
A contrario, plus il y a d’éléments à placer sur l’image, plus c’est compliqué (voir l’article « cadrage et composition : quelle différence ? »).
C’est pourquoi nous en profitons pour rappeler que moins il y a d’éléments dans l’image, plus la mise en valeur du sujet sera facilitée.
Dans quel cas s'en servir ?
Cette règle s’applique dans tous les domaines de la photographie.
Parmi eux, je pense évidemment au paysage et au portrait.
Les paysages
Il est rarement judicieux de placer la ligne d’horizon au centre de l’image. Car ce faisant, le spectateur à l’impression que vous n’avez pas su choisir entre la terre et le ciel.
Or il est essentiel que vos choix soient clairs et assumés, sous peine de créer des images « molles ».
La règle des tiers vient nous rappeler qu’en plaçant votre ligne de séparation sur le tiers inférieur ou sur le tiers supérieur, votre image gagnera en dynamisme.
Dans la première des deux photos suivantes par exemple, l’accent est clairement mis sur le ciel menaçant.
En revanche, dans la deuxième, le focus est mis sur le champ, avec sa couleur et ses courbures.
Dans la première photo suivante la plage et le ciel sont à l’honneur alors que dans l’autre, c’est la mer vivante, à plus d’un titre !
Ce qui fonctionne pour la ligne d’horizon fonctionne également pour la ligne de séparation des plans.
Dans cette image par exemple, le premier plan occupe les deux tiers inférieurs de l’image. La ligne de séparation se trouve donc au tiers supérieur.
Évidemment, toute règle a ses exceptions !
C’est le cas lorsqu’on veut montrer un reflet. Car sauf à vouloir montrer davantage le reflet que l’objet reflété, la séparation est mieux placée au centre de l’image.
On tombe alors sous le principe de la symétrie qui se doit d’être rigoureuse.
Les portraits
Dans un portrait, l’élément essentiel est le regard. On placera donc les yeux sur les lignes de force et/ou sur les points forts de l’image.
Laisser de l’espace devant le regard permet de le suivre plus longtemps :
Dans le même ordre d’idée, décentrer le sujet permet d’accompagner un mouvement :
Il y a, bien entendu, bien d’autres occasions de s’inspirer de la règle des tiers.
La règle des tiers est-elle une règle absolue ?
La réponse est clairement NON !
La photographie est un espace de création. Suivre une quelconque règle, appliquer bêtement une recette, et de façon répétitive, n’a donc aucun sens.
Et totalement contraire à l’esprit de liberté inhérent à l’acte créatif !
Si, dans certaines circonstances cette règle peut me convenir, dans d’autres ce ne sera pas le cas. Donc j’agis en fonction de mon instinct, de mon envie et des circonstances.
Pour autant, je ne la rejette pas : elle est utile. Mais je ne la laisse jamais empiéter sur ma liberté de créateur.
Je peux, par exemple, préférer une photo statique, si je pense qu’elle s’accorde bien avec mon sujet.
D’ailleurs, toutes les photos centrées ne sont pas pour autant statiques !
Enfin, il y a d’autres façons de créer du dynamisme, comme de créer un espace vide derrière le sujet. On appelle ça un « espace négatif ».
Et puis ce qui compte, c’est l’esprit de cette règle, pas la règle elle-même qu’on ne peut pas, de toute façon, respecter au millimètre près.
Dans cette photo par exemple, si la personne est bien placée sur la deuxième ligne de tiers, elle n’est pas pour autant placée sur le point fort inférieur droit. Cela laisse intact l’espace naturel au-dessus d’elle, ce qui donne toute sa dimension à cette photo.
La règle des tiers dans d’autres formes d’art
La règle des tiers ne se limite pas à la photographie ; elle est également omniprésente dans d’autres disciplines artistiques, où elle joue un rôle fondamental dans la composition visuelle et l’équilibre esthétique. Voici comment elle s’applique dans des domaines tels que le cinéma et la peinture.
La règle des tiers au cinéma : un art en mouvement
Au cinéma, la règle des tiers s’adapte à la narration visuelle en guidant l’œil du spectateur à travers le cadre. Bien que l’image cinématographique soit en mouvement, les principes de composition statique jouent un rôle crucial dans chaque plan, permettant de structurer l’action et d’amplifier l’émotion.
Exemples concrets d'application
- Les dialogues : Dans les scènes de conversation, les personnages sont souvent positionnés sur les lignes de force opposées, laissant un espace vide entre eux pour symboliser la distance émotionnelle ou la tension dramatique. Par exemple, dans un film comme In the Mood for Love de Wong Kar-wai, les personnages sont fréquemment décentrés, renforçant le sentiment d’isolement et de mélancolie.
- Les mouvements de caméra : La règle des tiers guide aussi les trajectoires. Lorsqu’un personnage traverse le cadre, le réalisateur laisse un espace devant lui sur la ligne de tiers pour amplifier l’impression de mouvement et d’anticipation. Dans La La Land, les chorégraphies suivent ce principe, chaque mouvement étant soigneusement cadré pour garder une harmonie visuelle.
- Les paysages cinématographiques : Comme en photographie, le placement de l’horizon joue un rôle clé. Dans Mad Max : Fury Road, les vastes paysages désertiques sont souvent filmés avec l’horizon sur la ligne de tiers supérieure, mettant en avant les véhicules et leur course folle au premier plan.
Concilier mouvement et composition figée
Le défi du cinéma est de concilier un art du mouvement avec une composition figée dans chaque cadre.
La règle des tiers agit ici comme un fil conducteur : elle structure chaque plan tout en permettant à l’action de se dérouler naturellement.
En répétant des cadrages basés sur la règle des tiers tout au long d’une séquence, les réalisateurs créent un rythme visuel qui guide le regard sans perdre la fluidité du récit.
La règle des tiers en peinture
La règle des tiers en peinture : une quête d’harmonie
Dans la peinture, la règle des tiers trouve ses racines dans la recherche historique de proportions parfaites, un concept qui traverse les siècles et les disciplines. Bien avant son codification moderne, les artistes et les architectes cherchaient des moyens de créer des compositions naturellement agréables à l’œil humain.
L’architecture de l’Antiquité et le nombre d’or
Dans l’Antiquité, les Grecs ont développé le concept de nombre d’or (≈ 1,618), qu’ils considéraient comme une proportion divine. On retrouve cette quête d’équilibre dans des chefs-d’œuvre architecturaux tels que le Parthénon à Athènes. Les dimensions de ses façades et de ses colonnes reflètent des rapports proches du nombre d’or, créant une harmonie perçue comme universelle et intemporelle.
Cette proportion a inspiré les peintres de la Renaissance qui, bien que travaillant avec des toiles plutôt que des bâtiments, utilisaient des grilles basées sur le nombre d’or pour organiser leurs compositions. Ces divisions, souvent proches de celles suggérées par la règle des tiers, guidaient la disposition des éléments clés comme les figures humaines ou les lignes d’horizon.
La série de Fibonacci : une autre approche des proportions
Plus tard, les mathématiciens ont relié la suite de Fibonacci au nombre d’or, ajoutant une dimension supplémentaire à la quête d’harmonie. Chaque nombre de cette suite est la somme des deux précédents (1, 1, 2, 3, 5, 8, etc.), et le rapport entre deux nombres successifs converge vers le nombre d’or. En peinture, cette série se manifeste dans des spirales ou des rectangles imbriqués, guidant l’œil du spectateur vers le centre d’intérêt de l’œuvre. Par exemple, Léonard de Vinci s’inspirait de ces principes dans ses dessins, comme on le voit dans L’Homme de Vitruve ou la composition subtile de La Cène.
L’adoption instinctive de la règle des tiers
Avec le temps, la règle des tiers est apparue comme une simplification pratique de ces concepts complexes. Elle fournit aux artistes une méthode rapide pour équilibrer leurs toiles sans avoir à calculer des rapports précis.
Prenons l’exemple de Impression, soleil levant de Monet : la ligne d’horizon et le soleil se situent sur des lignes de tiers, guidant subtilement l’attention du spectateur vers le jeu de lumière et de couleur.
Dans « La Liberté guidant le peuple » d’Eugène Delacroix. La figure centrale, celle de la Liberté, est décentrée et alignée sur une ligne de tiers, créant une dynamique puissante qui attire le regard tout en équilibrant l’arrière-plan chargé d’action.
Ainsi, la règle des tiers est moins une contrainte qu’un héritage d’une quête millénaire pour des proportions parfaites.
Elle traduit une vérité universelle : les compositions équilibrées captivent naturellement le regard et stimulent l’émotion.
Pourquoi cette règle transcende les disciplines ?
La règle des tiers fonctionne parce qu’elle repose sur des principes universels de perception humaine.
Nos yeux trouvent naturellement du plaisir dans une composition équilibrée, qu’il s’agisse d’un tableau, d’une photographie ou d’un cadre cinématographique.
En déplaçant les éléments importants hors du centre, l’artiste ou le créateur invite le spectateur à explorer l’ensemble de l’image, enrichissant ainsi l’expérience visuelle.
Conclusion
La règle des tiers est une base incontournable pour quiconque souhaite progresser dans l’art de la composition visuelle. Facile à comprendre, elle constitue un guide précieux pour équilibrer vos images et les rendre plus dynamiques. Mais, mieux qu’une règle, il faut la considérer comme un point de départ.
L’intérêt réel de la règle des tiers réside dans sa flexibilité : elle peut être adoptée ou dépassée selon vos intentions créatives.
Comprendre ses principes vous aide à enrichir vos photos tout en développant votre style, au-delà des règles préétablies.
Cela dit, gardez en tête qu’aucune règle ne doit brider votre imagination. N’hésitez pas à expérimenter : placez votre sujet là où vous le sentez, cassez les conventions, et observez le résultat. C’est ainsi que naissent les images les plus mémorables.
Alors, la prochaine fois que vous cadrez une photo, posez-vous cette question simple : « La règle des tiers apporte-t-elle réellement ce que je recherche ? » Si la réponse est oui, utilisez-la avec assurance. Sinon, explorez d’autres voies, et surtout, faites-vous confiance.
En photographie, comme dans tout art, ce qui compte, c’est l’histoire que vous racontez et les émotions que vous partagez. La règle des tiers est une alliée, mais c’est votre vision qui fait toute la différence.
Envie d'aller plus loin ?
Une fois encore, on constate que le cadrage et la composition sont à la base de la création de toute image.
Ce n’est ni plus ni moins que la grammaire que tout photographe doit connaître.
Avec le choix du sujet, ils constituent ce que j’appelle le « triangle de création » (voir cet article).
Je vous recommande donc d’apprendre cette grammaire en profondeur.
J’ai une formation qui vous y aidera.
Passez à l'action !
Lors d’une sortie photo, habitue-toi à placer ton sujet à différents endroits dans ton cadre, en suivant la règle des tiers, avec plus ou moins de rigueur, mais aussi à d’autres endroits.
Une fois tes photos sauvegardées, regarde ces clichés et choisis celle dont le sujet te semble mieux placé.
Et comme il ne peut s’agir d’une recette, réitère cet exercice pour chacun de tes sujets : à la longue, tu sauras d’instinct quelle sera la meilleure place de ton sujet.
